Les TER 200
sur la ligne Strasbourg - Bâle
Les TER 200 sur la ligne Strasbourg - Bâle
Transcription :
Les TER 200, ce sont des Trains Express Régionaux qui assurent des relations entre Strasbourg et Bâle à la vitesse de 200 km/h d'où leur nom. À l'ère du TGV, une telle vitesse pourrait paraître tout à fait normale, voire banale... Mais il n'en est rien ! Non seulement cette ligne a été une pionnière alors que rien ne la disposait à le devenir, mais le modèle de fonctionnement sur lequel elle repose reste unique en France à ce jour. Troisième ligne régionale la plus fréquentée du pays, en semaine, ses horaires sont cadencés à la demi-heure, ce qui en fait la force, mais aussi la faiblesse. Le moindre incident peut-être à l'origine d'une réaction en chaîne provoquant de très graves perturbations sur l'ensemble du réseau ferré Alsacien. Pour ce qui est du matériel roulant, ce sont pour l'essentiel d'anciennes rames de trains Corail rénovées et adaptées pour ce service qui y circulent. Mais pour combien de temps encore ? Les locomotives qui assurent la traction de ces trains commencent à prendre de l'âge et certaines ont connu quelques soucis techniques l'automne dernier ce qui n'a pas manqué de susciter de vives inquiétudes chez les usagers réguliers de la ligne dont le nombre ne cesse d'augmenter d'année en année. Alors à quelle échéance est-il prévu de remplacer ces matériels et par quel type de train ? Ces perspectives constituent t'elles une menace ou une opportunité pour cette ligne ? Je réponds à ces questions et à quelques autres encore dans ce nouveau reportage. Bonjour et bienvenue dans Aiguillages !
La ligne de Strasbourg à Bâle dont les TER 200 assurent la desserte depuis le mois de septembre 1991 a été mise en service par tronçons entre 1840 et 1844. Dans un premier temps, elle est limitée au nord aux faubourgs de la capitale alsacienne dont il reste à percer les remparts pour atteindre le centre de la ville et au sud à Saint-Louis, dernière ville avant la frontière. Car côté Suisse, on a encore un peu de mal à se mettre d'accord sur le tracé des premières lignes de chemin de fer du pays et l'implantation des gares. À Bâle, beaucoup souhaitent ardemment l'arrivée du chemin de fer, mais certains craignent une recrudescence de l'insécurité dans la ville et les conséquences de l'ingérence d'une puissance étrangère dans les affaires ferroviaires nationales naissantes si le chemin de fer doit faire son entrée dans le pays depuis la France voisine. C'est pourtant ce qui finira par se produire. Hé oui, les premiers kilomètres de voies ferrées en Suisse, ont été établis par les Français !
Bon, depuis, dans le domaine ferroviaire nos amis suisses nous ont bien rattrapés, il faut le reconnaître !
À l'aube de l'avènement du chemin de fer sur tout le continent européen, il en allait autrement. C'est à l'entrepreneur et homme politique Nicolas Koechlin que l'on doit la construction de cette ligne. Après avoir inauguré en 1839, celle reliant Mulhouse à Thann qui lui a en quelques sortes servie de banc de test et de prototype, il s'est, en effet, lancé dans la construction de celle qui allait devenir non seulement la plus longue de France à cette époque, mais aussi la première ligne internationale au monde et la première à desservir la Suisse.
On parle là d'une incursion d'une longueur inférieure à 10 km, mais quand même !
Tout l'intérêt de l'établissement de cette ligne est qu'elle permettait de relier deux gros centres d'activité économique également desservis par le Rhin, à une époque où les transports fluviaux jouent un rôle crucial dans le transport des marchandises. Conscient de son fort potentiel, Nicolas Koechlin fera donc construire cette ligne dès son origine à double voie. Côté Suisse, il reste de ces temps anciens l'annexe Bâle-SNCF aboutissement historique de la ligne. Elle est constituée de 4 voies numérotées 30, 31, 33 et 35. Elle est exclusivement dédiée au trafic des trains de la SNCF entrant en Suisse via le point frontière de Saint-Louis. Depuis que la Suisse est entrée dans l'espace Schengen, il n'y a plus de point de contrôle douanier fixe. Les automates de vente de billets ainsi que les écrans annonçant les départs et les arrivées sont les mêmes que dans n'importe quelle gare hexagonale. Les abonnements et autres titres de transport français y restent valables et les paiements réalisés par carte bancaire dans cet espace ne sont pas soumis aux frais habituellement appliqués aux opérations réalisées à l'étranger. Trois des quatre voies sont en cul-de-sac, la n°30 étant habituellement traversante. En raison de gros travaux en cours dans la gare CFF, cette dernière avait été également mise en impasse le jour du tournage de ce reportage. Ces quatre voies ont la particularité d'être alimentées en 25 000 volts la tension en vigueur dans l'Est et le Nord de la France, alors que le réseau suisse l'est en 15 000. La voie 30 est commutable entre ces deux tensions.
C'est exclusivement sur ces voies que sont reçus les trains français.
Pour des besoins de manœuvres qui restent encore nombreuses en Suisse et en particulier dans la gare de Bâle qui est loin de ne voir passer que des automotrices, il arrive que certains trains des CFF soient amenés à couper les voies françaises. Voire à les emprunter jusqu'à la frontière. C'est ce qu'a fait d'ailleurs cette drôle de composition que vous reconnaîtrez aisément si vous êtes des fidèles de la chaîne. Il s'agit d'un Train d'Extinction et de Sauvetage que l'on a recroisé un peu plus loin sur le chemin du retour, en stationnement sur une voie en impasse peu avant Saint-Louis. Au quotidien, ce sont sinon des TER de la région Grand-Est en partance pour Mulhouse ou Strasbourg qui fréquentent ces quais, mais pour l'essentiel des TER 200.
Alors qu'est-ce qui les distingue des autres ?
Jusque dans les années d'après-guerre, les trains français ne roulaient pas si vite que cela : 100/120 km/h maximum et cela n'était pas forcément un problème. Mais l'avion et la voiture se démocratisant, la vitesse s'est très vite imposée aux côtés de la recherche d'un plus grand confort pour que le train ait une chance de survivre dans le nouveau paysage des moyens de transports qui se dessinait alors. La réponse de la SNCF à ces nouveaux concurrents qu'ils se trouvent sur la route ou dans les airs a été de vouloir réduire les temps de parcours entre deux villes. L'électrification et la modernisation du réseau aidant, certains trains de l'époque ont pu pousser des pointes jusqu'à 150 ou 160 km/h. Mieux, sur quelques portions de ligne se trouvant pour la plupart dans le sud-ouest, la vitesse de certains grands express a été portée à 200 km/h. La plupart de ces trains étaient labellisés Trans-Europe-Express. Ils étaient accessibles moyennant un supplément, et leur vocation était de relier le plus rapidement possible deux ou plusieurs grandes villes relativement distantes les unes des autres. Il ne s'agissait par conséquent pas de TER, appellation qui n'apparaîtra du reste que beaucoup plus tard, mais plutôt des ancêtres de nos actuels trains Intercités.
Quant à la ligne Strasbourg - Bâle rien ne la prédestinait à priori à un tel relèvement de la vitesse que l'on pouvait y pratiquer.
Il y a plusieurs raisons qui expliquent que la situation ait fini par évoluer. La première, est le processus de modernisation de la ligne engagé en 1957 avec son électrification. La deuxième l'intérêt que représentaient ses grandes lignes droites qui ont permis à Alstom de venir y faire rouler, ses tout premiers TGV, Patrick et Sophie ayant fait leurs premiers tours d'essieux et poussé leurs premières pointes dans la plaine d'Alsace. Une troisième, ce sont les séquelles laissées par le passage des deux guerres mondiales dans l'Est de la France qui ont très tôt poussé les autorités locales à se pencher sur la question de l'organisation des transports sur leur territoire. C'est ainsi que la région Lorraine donna naissance au service Métrolor, une desserte ferroviaire cadencée entre Thionville, Metz et Nancy. La région Alsace, s'en inspirera pour mettre en place le service Métralsace, reliant Strasbourg à Mulhouse avec un nombre réduit d'arrêts intermédiaires. Ouvert en 1980, il sera étendu deux ans plus tard vers Saint-Louis et Bâle. Enfin, l'arrivée dans le parc de la SNCF de nouvelles locomotives de type BB 26000 aptes à la vitesse de 200 KM/h permis à la région d'imaginer un service local à grande vitesse. Afin de le rendre possible, elle finança la plus grande part des travaux de modernisation de la ligne Strasbourg – Bâle qui consisteront à en changer le système de signalisation, à en renforcer l'alimentation électrique, à mettre en place un principe de contrôle de la vitesse des trains par balises, appelé KVB, à aménager des zones en IPCS (des Installations Permanentes de Contre-Sens) permettant en cas d'incident à un train de passer sur l'autre voie, ou d'organiser des dépassements, mais également à supprimer l'ensemble des passages à niveau présents tout au long du parcours. La région prit également à sa charge la rénovation d'une première série de 12 anciennes voitures Corail afin de pouvoir composer 3 rames de 4 voitures de quoi assurer 6 allers-retours quotidiens entre Strasbourg et Mulhouse.
Nous sommes en septembre 1991, le TER 200 était né !
Permettant un gain de temps de l'ordre de 10 à 20 minutes sur le Métralsace dont les rames étaient limitées à 120 km/h, celui-ci remporta un succès immédiat. Certains TER sont prolongés jusqu'à Nancy. De nouvelles voitures Corail furent modernisées à leur tour et en 1998, ce sont 16 allers-retours quotidiens, cadencés à l'heure qui furent proposés. En 2000, la région débloqua des financements pour faire subir à la section Mulhouse – Saint-Louis la même cure de rajeunissement que celle plus au nord. En 2002, le cadencement intégral est mis en place. Désormais, les trains partent à heure fixe de Strasbourg et Mulhouse. Au fil du temps, pour permettre une plus grande capacité d'emport, les compositions furent allongées. Elles pouvaient atteindre, et même dépasser les 10 voitures. En 2006, les voitures Corail engagées sur la ligne sont modernisées et en 2008, nouvelle innovation, des voitures-pilotes entrent en service. Il s'agit d'anciennes voitures fourgons qui ont été transformés par Alstom dans son usine de Reichshoffen en vue de les doter d'une cabine de conduite, ainsi que d'un accès dédié aux personnes à mobilité réduite et d'un espace pouvant embarquer jusqu'à 6 vélos. À partir de là, le cadencement passe à la demi-heure.
Une fois n'est pas coutume, le service TER 200 donne plutôt satisfaction à ses usagers.
Avec une ponctualité dépassant les 95 %, la marque TER 200 est pratiquement devenue synonyme de qualité de service sur les rails et ses usagers attendent de plus en plus de cette ligne qui est devenue l'épine dorsale de tout le réseau régional. Le fait de pouvoir quitter Mulhouse ou Strasbourg avant 6 heures le matin et d'y arriver autour de minuit est particulièrement apprécié par les navetteurs partant travailler avec le train. Le succès du TER 200 ne se dément pas générant d'année en année une augmentation du nombre de passagers embarqués. Le revers de la médaille est que le moindre incident tel un temps d'arrêt en gare légèrement supérieur à celui prévu peut avoir pour conséquence toute une cascade de problèmes allant jusqu'à la suppression de trains qui de toutes façons ne pourront pas rattraper leur retard et ne feront qu'en entraîner de nouveaux. La seule crainte des usagers de la ligne est que cette belle mécanique s'enraye un jour. Ce qui a bien failli se produire à l'automne 2023 avec la conjonction de différents facteurs. Le retour à un service nominal qui n'était plus assuré depuis la crise sanitaire de 2020, la mise en service du REME, Réseau Express Métropolitain Européen que l'on pourrait qualifier de RER Strasbourgeois, à une époque ou les feuilles mortes commencent à tomber sur les rails, de nombreux travaux intervenant sur la ligne provoquant un cumul de zones de ralentissement avec pour conséquence l'allongement des temps de parcours jusqu'à rendre difficile le respect de l'horaire et les défaillances techniques de plusieurs des vénérables BB 26000 ayant comme conséquence des demandes de secours répétés bloquant le trafic sur la ligne. L'alerte aura été chaude, avec des taux de ponctualité descendant à 70 %. Du jamais-vu ! Néanmoins depuis le mois de février, selon Florent Manrique, président de l'Association des Usagers des Transports du Sud Alsace, en charge du dossier TER 200 au sein de la FNAUT (Fédération Nationale des Associations d'Usagers des Transports) des mesures correctives ont pu être prises et la situation est revenue à la normale sur la ligne.
Il reste des points non pas d'inquiétude, mais de vigilance qu'il convient selon mon interlocuteur de surveiller dans les années à venir.
C'est sans doute une bonne chose, mais un vrai défi : il n'est pas prévu que la croissance du trafic ralentisse sur la ligne dans les années à venir, c'est plutôt le contraire qui devrait se produire. La question qui se pose est celle de l'avenir des voitures Corail. Elles sont parties pour assurer le service pendant une 10 aine d'années encore, du reste une petite soixantaine d'entre-elles doit encore passée en atelier pour rénovation. Mais qu'adviendra-t-il après ? Dans la perspective de 2032, l'ouverture à la concurrence des lignes TER étant passée par là, la région Grand-Est a lancé un appel à manifestation d'intérêt pour l'exploitation de cette ligne. A cette occasion le matériel roulant devra être renouvelé, sachant que de leur côté les suisses ont programmé un changement de tension dans la caténaire jusqu'à Saint-Louis à l'horizon 2030/2031, optant pour le 15 000 volts en vigueur dans le reste du pays ceci afin notamment de permettre à leurs trains de fret de passer par la France plutôt que l'Allemagne où ils rencontrent de plus en plus de difficultés pour circuler. Les BB 26000 tractant les TER 200 n'étant pas compatibles avec cette tension ne pourront alors plus franchir la frontière. Un autre projet de nos voisins suisses serait de mettre en place des relations Luxembourg – Zurich qui passeraient naturellement par Strasbourg et Bâle. Se posera alors le problème de pouvoir absorber à la fois l'augmentation du nombre de passagers, sans pouvoir forcément augmenter la fréquence des trains. Le passage à un cadencement toutes les 20 minutes pourrait être une solution, mais risquerait fort de provoquer des conflits avec les autres circulations, et notamment celles des trains de fret à insérer sur la ligne de la plaine d’Alsace qui est d'ores et déjà saturée. Le choix des nouvelles rames tractées, ou non, sera alors crucial, le principal critère à retenir étant leur capacité d'emport. Plus de 50 000 passagers empruntent en effet quotidiennement les TER 200 en 2024. Sachant que la croissance prévisionnelle est de 15 % par an. Combien seront-ils en 2030 ?
Vous avez 4 heures pour me donner la réponse, et me suggérer en commentaires le matériel roulant qui serait le mieux à même d'assurer ce service à partir de la prochaine décennie. Et pour poursuivre votre voyage, je vous propose puisque je vous en ai parlé tout à l'heure, ce reportage sur cette exception suisse : les Trains d'Extinction et de Secours. On se retrouve en début de semaine sur la chaîne Aiguillages : les Rendez-vous du Lundi pour des reportages dédiés au patrimoine ou au modélisme ferroviaire en alternance une semaine sur deux, et ici même jeudi dans 15 jours pour de nouvelles découvertes ferroviaires.
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