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Deux Trains sur une Même Voie

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2TVM Deux Trains sur une Même Voie

Transcription :

Annonce en gare… Votre attention s'il vous plaît. Veuillez systématiquement vérifier la destination de votre train avant de monter à bord. Deux trains peuvent être sur la même voie.


Voilà le genre d'annonces que l'on entend sur les quais de la gare de Rennes depuis quelques mois déjà et la mise en service d'une nouvelle forme d'exploitation de celle-ci. Elle est baptisée :
« Deux Trains sur une Même Voie » et a été tout récemment également déployée sur plusieurs de celles de la gare d'Annemasse en Haute-Savoie. L'objectif est de parvenir à augmenter le nombre de trains pouvant être accueillis à quai dans la journée, sans avoir à procéder à de lourds travaux d'agrandissement de gares par l'ajout de nouvelles voies, là où le foncier disponible ne le permet pas toujours, et à des coûts qui seraient, dans tous les cas, beaucoup plus conséquents. Ces nouvelles possibilités d'exploitations reposent sur une signalisation spécifique qui a vu le jour avec elles. Elles ne sont bien sur pas sans conséquences sur les usagers du rail et les personnels de conduite et d'accompagnement qui vont devoir s'habituer à voir cohabiter deux trains sur une même voie, ce qui n'était jusque-là pas une pratique mise en œuvre du moins sous cette forme, sur le rail français.


En quoi cela consiste-t-il ? Qui a-t-il de nouveau là-dedans ? Comment ça marche ? Est-ce qu'au-delà de Rennes et d'Annemasse d'autres gares seront concernées ? Ce sont quelques-unes des questions auxquelles je vous propose de répondre dans ce nouveau numéro, le premier de l'année, alors bonjour, meilleurs vœux, bienvenue en 2024 et dans Aiguillages !


Alors non, deux trains sur une même voie, ce n'est pas tout à fait nouveau, c'était même une pratique courante à Rennes comme ailleurs à l'époque où les rames tractées dominaient. Il fallait par exemple que la locomotive vienne se replacer en tête de sa rame, ou encore parfois que celle-ci soit coupée en plusieurs segments, certaines voitures ayant une première destination, les autres, une seconde, manœuvre qui redevient courante avec le retour des trains de nuit d'ailleurs. Mais même à l'ère des engins automoteurs et des TGV, c'est une pratique commune que de constituer ou défaire en gare des unités multiples, plusieurs engins étant amenés à faire un petit bout de chemin ensemble avant de se séparer pour retrouver plus tard un autre compagnon de voyage.


Toutes ces opérations avaient néanmoins pour point commun de ne concerner qu'un seul sens de circulation à la fois, et c'est dans ce petit détail que réside toute la différence avec le dispositif « Deux trains sur une Même Voie ».


La grande nouveauté de ce dispositif est qu'en effet désormais deux trains peuvent être reçus sur le même quai, l'un arrivant depuis l'une de ses extrémités, le second depuis l'autre. Ils occuperont ainsi chacun une partie de la même voie, le temps de stationner, de faire le vide et le plein de voyageurs, et de repartir dos à dos, chacun, dans la direction opposée. Le nez à nez étant l'un des principaux risques que les mesures prises pour assurer la sécurité ferroviaire s'efforcent de réduire à néant, l'entrée en gare sur le même quai de deux trains circulant en sens opposés ne peut se faire simultanément. Le second engin ne peut circuler sur la même voie que le premier, qu'une fois celui-ci à l'arrêt.


Le problème qui se posait à Rennes est la saturation de la gare aux heures de pointe. 

Contrairement à sa voisine de Nantes qui compte 15 voies, la gare de Rennes ne dispose que de 5 quais et d'un total de 10 voies. Or, cette gare reçoit quotidiennement une soixantaine de TGV et une moyenne de 230 TER, le plus gros du trafic, près de 14 millions de voyageurs tout de même en 2022, se concentre sur les heures de pointe du début de matinée et de fin d'après-midi. Gare de bifurcation, elle se situe sur l'axe Paris-Brest, mais est également à l'origine de lignes vers Redon, Saint-Malo et Châteaubriand. Si son premier bâtiment a été construit en 1857 par la Compagnie des Chemins de Fer de l'Ouest un peu à l'écart du centre-ville d'alors, un nouveau a du être édifié en 1992 à l'occasion de l'arrivée du TGV Atlantique dans la ville. Les travaux ont notamment consisté à établir une dalle surplombant les voies et permettant de relier à pied les quartiers nord et sud. Mais l'accroissement du trafic étant constant et son doublement étant prévu entre 2019 et 2025, il faudra très vite procéder à de nouveaux réaménagements. La façade du deuxième bâtiment voyageur est donc démontée pour laisser place à la structure actuelle, dont le toit est la signature. Il symbolise un nuage posé sur le sol. La gare se voit dotée d'un nouveau poste d'aiguillage en 2018, ainsi que d'un quai supplémentaire recevant les voies 9 et 10. Le nouvel ensemble est inauguré en juillet 2019. Dès cette époque, SNCF Réseau sait que la gare telle qu'elle est conçue ne pourra pas faire face à l'augmentation de trafic prévu, mais qu'il ne sera pas possible non plus de lui rajouter de nouvelles voies, sauf peut-être à envisager la création d'une gare souterraine, mais les coûts seraient alors faramineux !

C'est dans ce contexte que le projet « Deux Trains sur une Même Voie » est lancé dès 2018.

Tout commence par une série d'études. Le but étant de trouver une solution pour décongestionner la gare aux heures de pointe et en augmenter les capacités opérationnelles d'en moyenne 30 %. Le projet 2TMV étant validé, il restait à déployer sur le terrain les installations nécessaires. Principalement des portiques supportant une nouvelle signalisation à mi-quai. À Rennes, ces travaux ont été réalisés entre janvier et octobre 2022. S'en sont suivies des périodes de tests, de certification et de formation qui se sont prolongées jusqu'en septembre 2023. Après une journée complète de coupure totale du trafic qui a permis de procéder aux derniers essais et à la validation définitive du principe, le dispositif a été officiellement mis en service le 24 septembre dernier. Il comprend des signaux d'un type nouveau qui sont installés sur chacune des voies concernées à mi-quai. Il y en a deux, un par sens de circulation. Par défaut, ceux-ci présentent un carré fermé, imposant l'arrêt des trains à leur pied. Si le train qui se présente à l'entrée du quai doit en rejoindre directement l'autre extrémité, soit parcequ'il est en transit, ce qui peut-être le cas d'un train de fret, soit parce-qu'il s'agit de TGV en Unités Multiples qui occuperont toute la longueur de celui-ci. Le conducteur rencontrera dans un premier temps un avertissement classique, c'est-à-dire un signal affichant un feu jaune. Le signal de mi-quai affiche en son centre une croix blanche lumineuse, indiquant qu'il n'est pas à prendre en compte par le conducteur, qui doit par conséquent se référer au prochain signal qu'il rencontrera. Dans l'hypothèse ou le train entrant en gare doit partager le quai avec un autre, son conducteur se verra tout d'abord présenter en amont une indication d'avertissement couplée avec une bande jaune lumineuse clignotante, lui indiquant la fermeture du signal de mi-quai et par conséquent une réception courte. Il lui faudra donc se tenir en capacité de s'arrêter devant ce prochain signal fermé. Il devra également acquitter cet avertissement, c'est-à-dire qu'en pressant sur un bouton situé sur le pupitre de conduite, il confirmera avoir bien pris en compte l'avertissement qui lui a été adressé. À proximité du signal de mi-quai, deux balises KVB permettent de s'assurer que la vitesse d'approche limite de 10 km,h n'est pas dépassée, et que le train s'est bien arrêté en amont du signal. Si un autre train arrive sur la même voie en face, il suivra la même procédure. Une fois arrêtés à quelques mètres, l'un de l'autre, la remise en mouvement des trains est interdite, et ne peut s'effectuer sans autorisation. Enfin, il existe un dernier cas de figure que je n'ai pas pu filmer dans le temps que j'ai passé à la gare de Rennes, c'est celui du raccordement de deux trains, des TGV le plus souvent. Une fois le premier en place en bout de quai, c'est un signal rouge clignotant qui s'affiche face au second, l'autorisant à le franchir à vitesse réduite pour venir s'atteler à la rame qui l'a précédée à son arrivée en gare.

Toutes ces possibilités de manœuvres existaient avant le dispositif 2TMV, mais qu'elles étaient rendues plus lourdes par les procédures à mettre en œuvre qui faisaient notamment appel à un agent sur le quai qui devait présenter au conducteur un SAM (Signal d'Arrêt à Main), avant de le retirer et de lui donner une autorisation de départ. Il reste maintenant à savoir ce que ce dispositif apporte aux voyageurs.

Comme entendues au début de ce reportage, des annonces rappellent régulièrement que deux trains peuvent désormais partir de la même voie, et qu'il convient de bien vérifier celui à bord duquel on prend place. De nombreux stickers et d'autres formes d'affichage reprennent cette même information. Les écrans lumineux destinés à informer les passagers des horaires de départ de leur train et du quai sur lequel ils se situent, affichent également désormais les repères en face desquels il se trouve. Mais quand vous voyez à l'issue d'une ultime annonce du chef de bord indiquant la destination du train, une poignée de passagers descendre précipitamment pour rejoindre en courant le second train stationné sur la même voie, quelques mètres plus loin, vous comprenez que les nouvelles habitudes n'ont pas encore été tout à fait prises ! Autre conséquence concrète pour les voyageurs, visible surtout sur les quais les plus au fond de la gare à Rennes, il reste un sacré bout de chemin à parcourir à la descente des ascenseurs, au pied des escaliers ou au bout de la rampe d'accès avant de rejoindre le train qui stationne à l'une des extrémités du quai. Même chose à la descente d'un train à l'arrivée, qui s'il est court va se retrouver tout au bout du quai. Certaines correspondances risquent de s'avérer un peu sportives si le temps disponible entre les deux trains est un peu court.

Enfin, du côté des postes d'aiguillage, il a fallu procéder à quelques aménagements également.

Les enclenchements, c'est-à-dire les systèmes assurant la sécurité des itinéraires en interdisant au besoin certaines manœuvres ont du être mis à jour. Ils doivent désormais autoriser dans certaines conditions les arrêts en milieu de quai, et surtout la présence de deux trains simultanément sur la même voie. Le poste de Rennes est équipé du système Mistral, il s'agit d'un Poste d'Aiguillage Informatisé, un PAI. L'interface homme-machine qui permet aux agents de circulation de visualiser le plan de voies et le positionnement des trains et des signaux sur celui-ci a par conséquent du être mis à jour. La télécommande et les alarmes associées aux signaux de mi-quai ont conduit à une mise à jour du système Mistral lui-même. 200 nouveaux itinéraires ont ainsi été créés à cette occasion. Dès septembre 2024, après une année de rodage, ce sont ainsi 24 TER supplémentaires qui pourront être mis en circulation quotidiennement au départ de la capitale bretonne. Six circuleront sur la branche vers Saint-Malo, quatre étant limités à la gare de Montreuil, six sur la branche vers Saint-Brieuc, dont deux seront limités à La Brohinière, cinq sur la branche vers Vannes, dont trois qui feront leur terminus en gare de Messac et sept qui rejoindront Vitré sur la dernière branche.

Et puis la question que l'on se pose tous : est-ce que le dispositif 2TMV est destiné à être étendu à d'autres gares ?

La réponse est oui. Rennes a été choisie comme gare de test en raison de sa saturation aux heures de pointe, alors que dans le même temps, la région Bretagne voulait augmenter encore le nombre des trains en circulation sur son territoire. Annemasse l'a été, en raison de la mise en place du Léman Express qui a provoqué une très forte augmentation du trafic. Mais la problématique de pouvoir mettre en circulation plus de trains sans envisager la construction de nouvelles voies se pose dans de nombreuses villes. Si l'expérience est concluante sur ces deux premiers sites, les suivants à être équipés pourraient bien être Grenoble et Lyon, mais d'une manière plus générale, ce procédé pourrait bien s'avérer salutaire dans toutes les gares des grandes villes autour desquels un système de RER est envisagé, si du moins ces projets voient le jour.

Et vous ? Avez-vous expérimenté le 2TMV à Annemasse ou à Rennes, soit en tant qu'agent de conduite, soit en tant que passager ? Qu'en avez-vous pensé ? Peut-être le pratiquez-vous à l'étranger, puisque beaucoup de pays européens ont mis en place de telles solutions et depuis de nombreuses années. Comment cela se passe-t-il chez vous ? Vous pouvez me raconter tout ça en commentaire. Et puisqu'il était question dans ce reportage d'une nouvelle manière d'aiguiller des trains en gare, je vous propose cette autre vidéo consacrée aux postes d'aiguillage, à leur petite histoire et à leur évolution technologique.

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