La ligne de la Maurienne

Culoz-Modane

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La ligne de la Maurienne Culoz-Modane

Transcription :

Depuis la fin de cet été, l'un des principaux axes ferroviaires reliant la France à l'Italie a une nouvelle fois du être coupé. Et il le sera vraisemblablement pour de nombreux mois. Un éboulement est intervenu non loin de l'une de ses extrémités, peu avant Modane le 27 août et a gravement endommagé la voie ferrée, mais aussi l'autoroute qui l'a longe et la route qui passe en contrebas. Plus de 10 000 mètres cubes de rochers se sont détachés de la paroi, pour se déverser sur ces trois axes de communication, heureusement sans faire de victimes. Si la circulation a pu reprendre sur l'autoroute, son rétablissement sera beaucoup plus long sur la route départementale et sur le rail avec des conséquences nombreuses sur les différents trafics de voyageurs et de fret qui y transitent qu'ils soient locaux, nationaux ou internationaux.

Cet incident est l'occasion de se pencher sur l'histoire et les caractéristiques très particulières de cette ligne construite à une époque où le département de la Savoie n'avait pas encore été rattaché à la France et qui a fait œuvre de pionnière dans le domaine de l'électrification du réseau ferré national. On voit tout ça dans ce nouveau numéro. Bonjour et bienvenue dans Aiguillages.

La ligne dite de la Maurienne, est très particulière. Elle prend officiellement naissance à Culoz dans le département de l'Ain avant de traverser de part en part celui de la Savoie pour atteindre Modane, en passant par Chambéry et de rejoindre l'Italie en s'engouffrant dans un long tunnel, celui dit de Fréjus, long de 13 km 688, situé à plus de 1120 mètres d'altitude. Si les paysages traversés sont justes magnifiques, pour les conducteurs en particulier de trains de fret, l'a parcourir n'est pas de tout repos. Sur ce type de convois, sa longue rampe de 30 pour mille s'apparentant pour un train à un mur obligent à la mise en œuvre de pas moins de trois locomotives. Deux pour tirer le train, une troisième pour le pousser. Malgré tous les efforts déployés, lorsque la neige est au rendez-vous dans la région, c'est toujours une petite victoire d'arriver au sommet. Cette ligne appartient à la grande famille des liaisons ferroviaires permettant de traverser les Alpes, c'est une cousine de celles du Gothard et du Lötschberg en Suisse, à la différence près que seul l'itinéraire historique passant par la ligne faitière est établie, alors que chez nos voisins, des tunnels de base ont été construits pour éviter de longs et difficiles détours. De ce côté-ci de la frontière le projet existe, il s'agit de celui de la liaison Lyon-Turin en cours de réalisation qui si elle est menée à son terme passera par la création du plus long tunnel ferroviaire français. Il mesurera au total 57,5 km de long, soit 500 mètres de plus que celui de l'édifice de base du Gothard qui reste à ce jour le plus long tunnel ferroviaire du monde ouvert à la circulation. 45 km seront à creuser sur le territoire français, le reste sur celui de l'Italie. Un ensemble de nouvelles lignes dédiées au fret ou au service voyageurs est envisagé pour rejoindre Saint-Jean de Maurienne où se situe l'entrée du nouveau tunnel, depuis Lyon. Mais entre les difficultés à trouver les financements pour ce projet, le fait que le tracé définitif de la nouvelle ligne ne soit toujours pas connu et la contestation de son intérêt par certains qui trouvent que cette réalisation héritière des années 80 durant lesquelles de nombreux vaste chantiers avaient été lancés, arrive beaucoup trop tard et a un coût beaucoup trop élevé pour l'environnement, la nouvelle relation Lyon - Turin ne devrait pas être ouverte avant la prochaine décennie.

En attendant, c'est sur la ligne faîtière qu'il faut compter pour faire transiter une partie du fret et des voyageurs se rendant dans le nord de l'Italie, mais son tracé qui ne date pas d'hier est loin de faciliter la tâche des opérateurs.

L'histoire de la ligne de la Maurienne commence alors que la Savoie n'est pas encore rattachée à la France. La Compagnie du Chemin de Fer Victor-Emmanuel est crée en 1853 pour construire une première ligne à voie unique entre Choudy près d'Aix-les-Bains et Saint-Jean de Maurienne qui s'étendra peu à peu jusqu'à Culoz d'une part, point de raccordement avec les voies ferrées permettant de rallier Genève, et Saint-Jean de Maurienne d'autre part. Au fil du temps et des difficultés liés à de multiples glissements de terrain et autres effondrements de portions de tunnels, les modifications de tracés seront nombreuses, et la future ligne de la Maurienne rétrocédée à la Compagnie du PLM en 1867. C'est cette entreprise qui achève la réalisation du parcours jusqu'à Modane en 1871, année de l'ouverture du tunnel du Fréjus qui donne accès à l'Italie. L'établissement de cette portion de voie ferrée relève de l'exploit et se fera au prix de la construction de nombreux ouvrages d'arts qui ne permettront néanmoins pas de faire l'économie d'une longue rampe de 30 pour mille. D'abord établie à voie unique, elle sera doublée notamment pour faciliter le retour des machines de pousse jusqu'à Saint-Jean de Maurienne. Durant la première guerre mondiale, la ligne est régulièrement empruntée par des trains militaires. Le 12 décembre 1917 l'un d'entre eux en provenance de Turin, constitué de 17 voitures s'engage dans la longue descente vers la capitale de la Savoie. Il s'agit d'un train transportant plus de 1000 permissionnaires. Peu après Modane, sous l'effet de la pente, il prend de la vitesse, beaucoup trop de vitesse, 135 km/h s'affichent au compteur de la locomotive. Les freins ne suffisent pas à ralentir le convoi qui devient incontrôlable. Les voitures finissent par se détacher de la locomotive, par dérailler et s'encastrer dans un mur de soutenement et les unes dans les autres. Dans les minutes qui suivent un incendie se déclare, les voitures en bois s'embrasent comme un feu de paille. Officiellement, l'accident fera 435 morts et presque 200 blessés. C'est de loin la catastrophe ferroviaire la plus grave survenue en France et le secret militaire ayant pesé sur elle pendant plus de 90 ans avant que les archives ne soient ouvertes aux chercheurs, probablement l'une des plus oubliées. Si le sujet vous intéresse, je vous conseille ce livre d'André Pallatier qui a mené dans la région sa propre enquête, il s'appelle : Le tragique destin d'un train de permissionnaires.

Après la première guerre mondiale, et au vu des coûts que générait la traction vapeur imposant une pousse systématique de tous les trains à partir de Saint-Jean de Maurienne pour leur permettre d'atteindre Modane, la Compagnie du PLM décida de l'électrification de la ligne depuis Chambéry.

Une opportunité pour le PLM d'étendre à la voie normale son expérimentation de la traction électrique, qu'il avait dores et déjà adopté sur la ligne à écartement métrique reliant Saint-Gervais-les-Bains-le-Fayet à Vallorcine. La région étant riche en ressources hydroélectriques se prêtant par ailleurs très bien à ce nouveau test grandeur nature. Il restait à trancher le débat entre les partisans d'une ligne de contact ou 3ème rail. C'est ce dernier qui l'emporta, car il fut jugé plus simple à poser et à maintenir sur cette ligne relativement courte, mais très accidentée et semée de tunnels. Un premier tronçon d'essai fut équipé entre Chambéry et Saint-Pierre d'Albigny en 1925, puis la tentative se révélant concluante, le 3ème rail fut poussé jusqu'à Modane. Dans les gares, à l'exception de cette dernière le choix fut fait d'opter pour la pose d'une caténaire en raison de la présence de nombreux appareils de voies. Celle de Modane étant déjà dotée de caténaires amenant un courant triphasé depuis le tunnel du Fréjus et l'Italie, ne sera équipée pour le 1500 volts continu que du 3ème rail. Dans les autres gares de la ligne, les voies principales et celles de service bénéficieront du double équipement, enfin la section Chambéry - Culoz se verra directement pourvue de caténaires uniquement, en 1936. Après la seconde guerre mondiale et surtout la création de la CEE, la Communauté Economique Européenne, l'ancêtre de l'Union Européenne, le trafic ferroviaire entre l'Italie et la France va connaître une très forte croissance.

Les locomotives employées sur la ligne à cette époque appartenant à 7 séries différentes sont marquées par leur âge avancé et vont très vite se révéler manquant de puissance.

La SNCF va donc leur adjoindre de nouveaux éléments : 6 CC 7100 qui seront pour l'occasion équipées de frotteurs, une 10 aine d'unités Maurienne constituées d'anciennes locomotives de type BB commandées par le Paris-Orléans et modifiées pour circuler en unités doubles indéformables sur cette seule ligne, ainsi qu'une 20 aine de CC6500 commandées à Alsthom au début des années 70.
Finalement, l'alimentation par le 3ème rail ne présentant pas que des avantages, la présence d'un courant de 1500 volts au raz du sol n'étant pas sans danger, ce type d'alimentation contraignant la SNCF a entretenir un parc particulier de machines équipées à la fois de pantographes et de frotteurs, n'étant présentes qu'au dépôt de Chambéry, et l'entretien de la voie ne pouvant être mécanisé du fait de la présence de ce rail supplémentaire, il fut décidé de convertir l'ensemble de la ligne à l'alimentation par caténaire. Ce chantier ayant commencé sur la partie haute de l'itinéraire entre Modane et Saint-Jean de Maurienne fut achevé en 1976. Après 50 ans d'existence, cette alimentation par le 3ème rail sans autre équivalent en France sur une ligne à voie normale disparu du paysage savoyard et de nouveaux engins de traction firent leur apparition : Des BB 7200, 8100, 8500, 9400 et 9500, ainsi que des CC 6500 et 7000 qui purent être transférées à Chambéry depuis d'autres dépôts sans avoir à subir de modifications. Par la suite des automotrices électriques des séries Z 2, 7500, 9500 et 9600 firent également leur entrée pour desservir la ligne. En parallèle celle-ci connu une véritable cure de jouvence. Le système de signalisation y assurant la sécurité des circulation étant modernisé et remplacé par le BAL, le Block Automatique Lumineux, des sections exploitables en IPCS, c'est à dire dans l'un et l'autre sens de circulation sur chacune des deux voies étant mises en place pour fluidifier le trafic, et les postes d'aiguillage en place étant remplacés par de plus modernes, la vitesse de circulation sur cet axe pu être augmenté de 120 à 130, 140 et même 160 km/h selon les sections. A partir de cette époque, le trafic qu'il soit de fret ou de passagers ne cessera de croître, des TGV faisant même une incursion sur la ligne pour amener dans les stations des skieurs venus d'un peu toute la France. Dans les années 90, de nombreux trains internationaux circulent entre la France et l'Italie via le tunnel du Fréjus. Ils sont assurés par des ETR Italiens ou des TGV Tri-courants. 4 trains de nuit assurent des relations vers Milan et Barcelone.

Cette expansion n'aura été que de courte durée, après l'ouverture en 2001 de l'autoroute A43 entre Chambéry et l'entrée du tunnel routier du Fréjus, un coup dur va être porté à cette voie ferrée.

Une longue phase de travaux qui va être engagée dans le tunnel du Fréjus pour en augmenter le gabarit mais va s'éterniser jusqu'en 2007, ne va pas aider. Pendant ce temps, nos voisins Suisses inaugurent le tunnel de base du Lötschberg, mettent les camions qui traversent le pays sur des trains et les clients des trafics frets européens à destination de l'Italie prennent de nouvelles habitudes. L'inauguration moins d'une 10 aine d'années plus tard du tunnel du Gothard, ne va rien arranger aux affaires de la ligne de la Maurienne qui se retrouve très largement sous-exploitée. Du côté du trafic de passagers, depuis le 18 décembre 2021 TrenItalia assurait deux Allers-retours quotidiens entre Paris et Milan via Lyon, en plus des trajets réalisés par la SNCF sur la même relation, et les TER AURA circulant entre Lyon et Modane profitant pour certains de sillons non utilisés par les trains de Fret, avaient renforcé leurs fréquences. Sans compter durant les vacances d'hiver les nombreux trains supplémentaires venant desservir les gares de la vallée directement reliées aux stations de ski du massif. L'éboulement qui s'est produit à la fin du mois d'août et qui va très probablement avoir comme conséquence une nouvelle fermeture prolongée de la ligne, on parle de travaux qui pourraient durer jusqu'à l'été prochain n'est pas de très bon augure pour l'avenir de cette ligne.

Et vous, avez-vous déjà eu l'occasion de prendre le train dans la vallée de la Maurienne ? L'époque du 3ème rail ou plus récemment ?Pensez-vous que la construction d'un tunnel du tunnel de base dans le cadre de la réalisation de la future nouvelle liaison Lyon-Turin soit la solution ? Vous pouvez me dire tout ça en commentaires. Et si vous voulez voir à quoi pouvait ressembler une ligne électrifiée par le biais d'un 3ème rail, je vous renvoi à ce reportage consacré au Mont-Blanc Express qui circule toujours selon ce mode même si c'est sur une voie métrique entre Saint-Gervais-les-Bains-Le-Fayet et Vallorcine.

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