Remarquables postes
d'aiguillage
Remarquables postes d'aiguillage
Transcription :
S’il est une petite histoire qui reste très méconnue, c’est bien celle des postes d’aiguillage, et pourtant, elle sait se faire passionnante. Je vais vous la résumer aujourd’hui en m’appuyant sur ce livre écrit par Olivier Vellay et publié par l’association Rails et Histoire qui développe par ailleurs un programme de préservation d’une 30 aine d’entre eux, un peu partout en France. Il était temps, car sans que nous nous en rendions compte, c’est tout un pan du patrimoine ferroviaire français qui risque de disparaître dans une indifférence assez générale. L’heure est à l’informatisation et à la numérisation du réseau et bientôt, il ne restera pratiquement plus aucun poste d’aiguillage traditionnel sur le territoire, du moins sur les grandes lignes.
Alors comment sont nés les postes d’aiguillage, comment leur technologie a t’elle évoluée, quels sont ceux que l’association Rails et Histoire entend préserver, je réponds à ces questions et à quelques autres encore dans ce nouveau numéro, bonjour et bienvenue dans Aiguillages !
Faire rouler des trains, toujours plus nombreux, toujours plus rapides, dans les meilleures conditions de sécurité, tel est le défi que le chemin de fer doit relever depuis sa naissance. Son exploitation a dès l’origine nécessité l’aménagement de gares, la définition de différents itinéraires et donc l’installation de dispositifs permettant aux trains de changer de voie : les aiguillages, mais aussi l’établissement de règles strictes pour éviter les accidents dont l’application sur le terrain passe pour beaucoup par l’obéissance à des signaux. Dès les premiers temps, les deux vont fonctionner de pair, et quelles qu’aient été les évolutions technologiques, cela reste toujours le cas de nos jours.
Bien sur la notion de poste d’aiguillage n’a pas toujours existé, dans les premiers temps du chemin de fer toutes les manoeuvres se faisaient à pied d’oeuvre.
Les premiers personnels employés par les compagnies pour se charger de la sécurité des circulations ont été les cantonniers. Leur rôle était de s’assurer qu’une distance suffisante séparait deux trains de manière à ce qu’ils ne puissent pas se rattraper. Ils disposaient pour cela de signaux dans un premier temps à main, de simples drapeaux, pour donner aux mécaniciens l’autorisation ou non de s’engager sur une voie. Leur rôle était aussi de manipuler les aiguilles pour définir le chemin qu’allait emprunter le prochain train. On appelle cela, former un itinéraire. Leur sort n’était guère enviable, étant exposés à tous les temps, ne disposant au mieux que d’une petite guérite pour se mettre à l’abri, et ayant à réaliser de nombreux et souvent longs déplacements sur le terrain. A cette époque qui constitue la préhistoire des chemins de fer, la sécurité ne reposait que sur leur vigilance qui pouvait parfois être mise à mal par la fatigue ou la surprise créée par un train circulant en dehors de son horaire normal. Les accidents n’étaient pas rares, et ils en étaient souvent les premières victimes, étant amenés à tout moment à traverser les voies. Les compagnies de chemins de fer ne pouvaient pas non plus se satisfaire complètement de ce mode de fonctionnement qui supposait l’emploi d’un personnel très nombreux, et par conséquent très coûteux pour leurs finances.
C’est dans ce contexte qu’une révolution intervint avec l’invention d’un certain Pierre-Auguste Vignier, qui mit au point le concept de poste d’aiguillage.
Les premiers sont loin de ressembler à ce que l’on imagine. Pas encore de bâtiment dédié mais plusieurs équipements permettant de commander à la fois des aiguilles et les signaux qui leur étaient associés, le tout étant jusqu’alors disséminé sur le terrain, sont rassemblés en un seul lieu. Et surtout, des relations hiérarchisées de dépendance sont établis entre les uns et les autres.
Alors là, il faut que je vous explique une notion fondamentale qui est celle d’enclenchement.
De tous temps les points les plus dangereux des systèmes ferroviaires ont été constitués par les lieux ou se recoupent plusieurs voies. Ce sont les bifurcations en pleine ligne, les zones d’entrée et de sortie des gares, les sections pouvant être parcourues à double sens, et les endroits où se rejoignent voies de service et voies principales. En clair, tous les points où l’on trouve des aiguillages. Le développement du trafic, et de la vitesse des trains n’a fait qu’augmenter cette dangerosité. Pour supprimer le risque de collision entre deux trains à une bifurcation, il fallait pouvoir n’autoriser qu’à un seul d’entre eux de s’engager sur celle-ci, tous les autres qui se trouveraient à proximité devant être arrêtés en attendant la fin de la manoeuvre du premier. Et c’est là qu’intervient l’invention de Pierre-Auguste Vignier. Celui-ci, employé de la Compagnie de l’Ouest a mis au point un système constitué de différentes pièces mécaniques qui oblige l’aiguilleur à manoeuvrer les leviers qu’il a à sa disposition dans un certain ordre et lui interdit en les bloquant certains changements de position, si ceux-ci ne sont pas compatibles avec la sécurité. Par exemple, il devenait impossible grâce à ce mécanisme de donner accès à des trains circulant en sens contraire à une même voie. Pour qu’un signal donnant l’autorisation de s’engager dans la section concernée puisse être ouvert, il fallait nécessairement que celui qui lui était associé à l’autre extrémité de la zone considérée ait été au préalable fermé. Le premier poste d’aiguillage enclenché au monde a été mis en service sur l’embranchement des Batignolles en 1854. D’autres suivront. Ces précurseurs souvent modestes n’étaient constitués que de quelques leviers. Un ou deux pour les aiguilles, deux ou trois pour les signaux. De ce fait, ils furent le plus souvent laissés en plein air d’autant qu’ils étaient très artisanaux, rustiques et peu compacts.
C’est alors qu’une entreprise Britannique reprendra à son compte les idées de Pierre-Auguste Vignier, tout en en industrialisant le concept. Son nom ? Saxby !
La firme vendra plusieurs milliers d’exemplaires dans le monde de ses postes mécaniques. Leurs points forts ? Outre d’indéniables qualités techniques, en réussissant à rendre plus compactes leurs installations, il va être possible de les mettre à l’abri dans un bâtiment en dur appelé cabine. Les aiguilleurs y gagneront en conditions de travail. Non seulement, ils y bénéficieront l’hiver du chauffage, mais de plus, les aiguilles et les signaux pouvant être commandés à distance grâce à un système de transmission par câbles ou par tringles, le nombre de leurs déplacements sur le terrain sera réduit. Parmi les exemples subsistants de ce type de poste, Amiens Saint-Roch 1 est toujours en service, mais pas pour très longtemps encore. Il fait partie de ceux que l’association Rails et Histoire souhaite pouvoir préserver d’autant qu’il est le dernier représentant de sa catégorie étant abrité dans une cabine Saxby en bois.
Si ils ont l’avantage d’être relativement peu onéreux à mettre en oeuvre, les postes mécaniques ont toutefois leurs limites, c’est pourquoi de nouvelles approches ont été déployées à partir du début du 20ème siècle.
Le principal défaut des postes mécaniques, c’est que les dispositifs qu’ils commandent sont mus par la seule force humaine. En conséquence, leur rayon d’action est nécessairement limité, ainsi que le nombre d’appareils de voies qu’ils peuvent commander simultanément. Les compagnies ferroviaires seront donc amenées à multiplier le nombre de postes le long des voies ou en gare, le nombre de leviers qu’ils abritent, et en conséquence le personnel mis en oeuvre pour leur exploitation. Deux autres inconvénients viendront se rajouter à ceux-ci. D’une part, la très grande complexité des opérations à réaliser pour les adapter au moindre changement de plan de voie, d’autre part, leur difficulté à s’adapter à un trafic grandissant. Le nombre de leviers à manipuler pour établir un itinéraire pouvant être très conséquent, il fallait du temps pour le faire, et certains postes n’arrivaient tout simplement plus à faire face à l’afflux de trains dans les gare en heures de pointe. Pour affronter ces difficultés, le premier axe de recherche va consister à remplacer la force humaine par des fluides. Des expérimentations de postes hydrauliques, pneumatiques, hydropneumatiques puis électriques seront menées un peu partout en France à partir de 1888. C’est finalement cette dernière solution qui s’imposera.
Un exemple, le poste d’aiguillage de la gare de Château-du-Loir qui est certainement le plus ancien de ceux toujours en service dans cette catégorie, sa technologie datant du tout début du 20ème siècle.
Son histoire, de même que celle de la gare est un peu particulière. La gare à un temps vu se côtoyer dans ses emprises deux compagnies. Le Paris-Orléans et l’Etat, chacune exploitant une ligne Paris-Bordeaux, jusqu’à ce que la création de la SNCF ne conduise à ne conserver que la première. Quant au poste d’aiguillage, il est constitué de deux anciens postes qui avaient été installés à Courtalain sur la ligne de Bordeaux-Saint-Jean à Chartres. Démontés après la seconde guerre mondiale, ils ont été réinstallés dans une partie du bâtiment voyageur de la gare de Château-du-Loir où ils n’en forment plus qu’un. C’est un poste électrique à leviers individuels conçu sur la base de la technologie américaine Hall-Taylor. Il conserve une partie mécanique qui gère les enclenchements, mais c’est un courant électrique qui commande les mouvements des aiguilles et les signaux. S’agissant d’un poste à leviers individuels, l’agent l’ayant en charge doit d’abord manipuler les leviers de chacun des signaux en les tirant ou les poussant avant d’agir sur ceux des aiguilles afin d’établir un itinéraire. Comme sa force physique n’est plus en jeu, les dispositifs sur lesquels il agit peuvent être assez éloignés sur le terrain. Ce poste sera désaffecté vers 2026. Protégé par le programme Postes Remarquables de l’association Rails et Histoire, il devrait rejoindre la rotonde de Montabon toute proche pour y être préservé.
Dans les gares de plus grande importance, le principal inconvénient de ce type de poste était la contrainte de devoir manipuler un grand nombre de leviers pour parvenir à ses fins. Les ingénieurs en ont donc mis au point une nouvelle génération, les postes à levier d’itinéraire.
Les plus anciens sont implantés en France en 1903 et 4 par la Compagnie du Midi, à la Gare de Bordeaux-Saint-Jean. Il s’agit des postes 1 et 6. C'est de nouveau une première mondiale. Les aiguilleurs pouvaient désormais établir un itinéraire, c’est à dire agir sur des appareils de voie potentiellement assez éloignés les uns des autres, en ne manoeuvrant qu’une ou deux poignées. Nécessairement, il s’agissait dans ce cas de postes à fluide ou électriques pour que les répercussions du geste de l’aiguilleur se fassent sentir sans effort sur le terrain. Plusieurs postes de ce type sont inscrits au titre du programme Postes Remarquables. Lyon-Perrache 1, Rennes-Central, Longueau 1 et Belfort 2. Dans le cas de ce dernier, seul le mécanisme a pu être préservé, le bâtiment l’abritant ayant été démoli il y a quelques mois de cela. Quand aux deux premiers, ils vont faire l’objet d’une remise en service virtuelle, déconnectée du terrain, et seront ouverts à la visite.
Si l’électricité a permis à partir du début du 20ème siècle aux postes d’aiguillage de faire de réels progrès, les postes mécaniques n’ont pour autant pas dit leur dernier mot. Dans des gares de moyenne importance, ils présentaient l’avantage de ne pas être les plus onéreux à mettre en oeuvre et de nouvelle génération, ils sont encore souvent apparus comme la meilleure solution à déployer.
L’exemple typique de cette dernière famille de postes mécaniques, est constituée par ceux encore visibles pour quelques temps à la gare de Vierzon. Le poste C a été installé par Saxby pour le compte du Paris-Orléans en 1926. Pour réduire l’encombrement de ses postes traditionnels, la firme a mis au point un levier à cylindres d’itinéraire, à même de remplacer jusqu’à 10 leviers classiques. Ils sont reliés à une table d’enclenchement positionnée à la verticale sous les leviers. Le poste 5 quant à lui, appartient à la famille des postes électromécaniques unifiés dit EMU. Cette série a été mise au point après la seconde guerre mondiale, sur la base de postes à leviers mécaniques produits par Saxby. Certains bénéficient d’une assistance à la manoeuvre. L’aiguilleur doit juste initier et valider celle-ci. Entre temps, le levier poursuit seul son chemin.
Du côté des postes électriques, de nouvelles innovations sont introduites également à la même époque. Sur la ligne impériale qui est en cours d’électrification plusieurs prototypes sont mis au point en vue d’être généralisés sous forme de séries. On les appellera PRS ou Postes à Relais Souple.
La synthèse de ces recherches aboutit au poste U de Montereau qui intégralement électrique fait appel à des relais. Les volumineux leviers y sont remplacés par de simples boutons. Très compacts, ils permettent même à leurs agents de travailler en restant assis. Leur rayon d’action est très grand et peut atteindre plusieurs kilomètres, plus de 12 dans le cas de Montereau U. Celui-ci présente quatre autres grandes innovations. La première est l’enregistrement des itinéraires. L’aiguilleur peut ainsi agir sur les boutons de son pupitre sans que cela ait de conséquence immédiate sur le terrain. L’exécution de ses ordres ne sera effective qu’une fois que toutes les conditions de sécurité seront réunies. La deuxième est l’établissement d’itinéraires en tracés permanents. Il permet à plusieurs trains de se suivre en toute sécurité, sans qu’un agent n’ait besoin d’intervenir. La troisième est la destruction automatique des itinéraires. Une fois que le train pour lequel celui-ci avait été établi est passé, les aiguilles et la signalisation sont remis dans leur position par défaut. La dernière, est la télécommande de plus petits postes physiquement présents sur le terrain, mais dépourvus de tout pupitre ou Tableau de Contrôle Optique. Montereau U servira de modèle à l’établissement de 550 autres postes PRS dans l’hexagone.
Sur ces entrefaites, l’électronique puis l’informatique sont apparues, et cette dernière s’est bien sur intéressée au fonctionnement des postes d’aiguillage.
Dans un premier temps elle a pris appui sur les postes PRS en complétant leurs équipements par de simples modules informatiques. Celui de Versailles-Chantiers sera le premier a bénéficier de cette assistance dès 1977. Dans un second la SNCF a développé ses premières Commandes Centralisées et des PAR, Postes d’Aiguillage et de Régulation. Ces types de postes s’appuient toujours sur la technologie PRS, mais leur rayon d’action devient beaucoup plus vaste, jusqu’à atteindre plusieurs centaines de kilomètres. Celui du TGV Sud-Est a été mis en service en même temps que la première ligne à grande vitesse en 1981. Il est basé à Paris, et contrôle à distance des postes situés tout au long de la ligne. Cette nouvelle approche fait que les aiguilleurs n’ont même plus besoin d’avoir un contact visuel avec les trains. Le bâtiment qui l’abrite se trouve à plusieurs centaines de mètres de la gare. Ce PAR est amené à fermer fin 2024 pour rejoindre un bâtiment situé près de celui de la Commande Centralisée du Réseau de Lyon-Jean-Macé, mais cette histoire là est beaucoup trop récente pour concerner le programme Postes Remarquables.
Première pierre à l’édifice de ce programme, le projet Perrache Poste 1 dont je vous ai déjà parlé sur cette chaîne, et dont je vous donne quelques nouvelles.
Ce poste a fait l’objet d’une remise en route simulée. Les visiteurs peuvent y prendre en mains les manettes en lieu et place des aiguilleurs pour expédier des trains de et vers la gare de Perrache. Un logiciel a été branché sur les installations techniques existantes permettant de simuler le passage des convois un jour d’été dans les années 50. La cabine du poste a été remise dans un état évoquant cette période là. On attend avec impatience de connaître la date de l’inauguration.
J’espère que vous avez apprécié cette petite histoire des postes d’aiguillage. Si tel est le cas je vous signale plusieurs ressources qui vous permettront d’aller plus loin.
D’abord le livre d’Olivier Vellay Remarquables Postes d’Aiguillage, qui vous offrira une plongée beaucoup plus technique que celle que j’ai pu vous proposer durant ces quelques minutes, vous pouvez vous le procurer sur le site de l’association Rails et Histoire dont je vous mets le lien en description. Tous les bénéfices liés à la vente du livre seront ré-investis dans la poursuite du programme de remise en état de Perrache 1. Au passage, je vous fais part d’une petite astuce : en adhérant à l’association Rails et Histoire pour 5 euros, vous pourrez faire l’acquisition de ce livre pour la moitié de son prix, le coût de la cotisation étant largement amorti de ce fait. Et puis, une série de vidéos que j’ai réalisé en compagnie d’Olivier dans 9 postes d’aiguillage remarquables qui sont progressivement mises en ligne sur la chaîne Youtube de Rails et Histoire, là aussi, je vous mets le lien en description.
Et vous, vous étiez-vous intéressé jusqu’à ce jour aux postes d’aiguillage ? Aviez-vous eu l’occasion d’un visiter un ? D’y travailler peut-être ? Racontez-moi tout ça en commentaires. Si vous voulez contacter Olivier pour lui faire un retour sur son livre, lui poser des questions sur Perrache Poste 1, si vous avez connaissance d’un poste à sauver, si vous possédez des documents concernant des postes d’aiguillage, peut-être des photos, si vous êtes prêts à donner un coup de mains à l’association Rail et Histoire dans son travail de préservation de ce patrimoine ferroviaire, vous pouvez lui écrire à l’adresse qui s’affiche à l’écran, et que je vous remets en description. Quand à moi, je vous retrouve la semaine prochaine pour partager avec vous de nouvelles découvertes ferroviaires.
La renaissance
de la gare de Latillé
Cabines Expériences
à la Cité du Train
Dijon - Clamecy
en autorail Picasso
Le musée
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