Le grand ecart(ement)

MOB

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Le grand ecart(ement) MOB

Transcription :

L'actualité dans le monde des chemins de fer de cette semaine, c'est l'inauguration d'un nouveau dispositif qui permet à un train de voyageurs de passer d'un écartement de voie à un autre sans que ses passagers ne s'en rendent compte ou presque. Ce changement est loin d'être anecdotique puisque le train passe ainsi d'une voie à l'écartement de un mètre à celui de 1 mètre 435, une différence de 43,5 centimètres tout de même. Cet événement à eu lieu en Suisse, le week-end dernier, sur les voies du Montreux-Oberland-Bernois, une occasion de rappeler que pour des raisons le plus souvent économiques mais parfois aussi stratégiques et militaires, plusieurs standards se sont imposés dans les différents pays européens et qu'ils constituent parfois des obstacles pas si simples à franchir.

Mais alors, pourquoi de telles différences d'écartements ? Combien de pays sont concernés ? Comment fait-on pour permettre aux trains de circuler malgré tout de l'un à l'autre et en quoi ce qui vient d'être inauguré en Suisse relève de l'exploit ? Enfin pourquoi l'écartement dit standard est de 1 mètre 435, on aurait sans doute pu opter pour un chiffre rond non ? Je réponds à ces questions et à quelques autres encore dans ce nouveau numéro, bonjour et bienvenue dans Aiguillages !

Commençons par une définition. Qu'entend t'on par écartement des voies ? Et bien c'est la distance qui sépare les faces intérieures des deux fils de rails et la valeur la plus couramment mesurée est 1 mètre 435. Le chemin de fer a été développé à partir de la première moitié du XIX ème siècle, à une époque ou l'Union Européenne et les nombreux organismes de normalisation que l'on connait aujourd'hui n'existaient pas encore. Pourtant cette valeur s'est belle et bien imposée comme un standard. Alors, comment a t-elle pu y parvenir ?

C'est la faute aux anglais !

A un en particulier : Georges Stephenson, un simple mécanicien qui en 1814 se lance dans l'étude de la conception d'une locomotive à vapeur destinée à pousser à la place des hommes les wagonnets qui circulaient dans les galeries des mines pour en extraire le charbon. Il parvient à intéresser à ses recherches Lord Ravensworth, le propriétaire des mines de Killingworth, se trouvant près de Newcastle, qui accepte de les financer et se lance dans la construction de ses premières locomotives. Il faut bien alors choisir un écartement. Stephenson serait partisan d'un chiffre rond 5 pouces, mais la place manque pour installer une voie d'une telle largeur dans les emprises industrielles de Killingworth. L'écartement le plus large qu'il puisse y trouver place est de 4 pieds 8 pouces et demie. Au diable le chiffre rond et le système métrique que Stephenson, en bon britannique, ne pratique de toute façon pas; La voie posée dans la mine pour laquelle il travaille sera donc à cet écartement, et pour les européens du continent, la mesure qu'il faudra retenir est 1 mètre 435.

Pas suffisant tout de même comme argument pour que ce chiffre s'impose comme un standard.

Non, il en faudra un autre pour forcer un peu les choses. D'ailleurs, que cela soit en Grande-Bretagne ou sur le continent Européen, pour ne pas parler du reste du monde, les écartements sont très nombreux à co-exister. Mais, peu à peu, le standard de Stephenson va s'imposer. En cela un événement au retentissement international va bien l'aider. C'est le concours de Rainhill en 1829, dont Stephenson est par ailleurs, l'organisateur. Il se déroulera sur une portion de la ligne Liverpool-Manchester dont il a en charge la construction. Celle-ci se fera par conséquent à l'écartement de 4 pieds 8 pouces et demi. Plusieurs locomotives sont engagées dans le concours et c'est la Fusée, conçue par le même Stephenson qui l'emportera. Il organisera dans la foulée une production industrielle de ce modèle, qui se vendra dans le monde entier et contribuera un peu plus au renforcement de ce standard. En 1846, un Railway Regulation Act est promulgué par le parlement britannique pour imposer cet écartement dans toute la Grande-Bretagne. En 1922, est créée l'Union Internationale des Chemins de Fer (l'UIC) qui prend également acte de cette domination et en fait ce qu'elle appellera désormais l'écartement standard.

Du coup aujourd'hui quels sont les pays européens qui n'ont pas opté pour l'écartement de 1, 435 m ?

Il y en a 7. Par chance ils sont soit isolés, soit situés à la périphérie de l'Europe. Dans la famille des pays naturellement isolés, il y a l'Irlande, je ne vous apprends rien si je vous dis que c'est une île sur laquelle c'est un écartement de 1 mètre 60 qui a été adopté. Pas très gênant, vu qu'aucun trafic ferroviaire international n'est envisagé depuis ou vers ce pays. Dans celle des pays situés à la périphérie, se trouvent la Finlande, avec un écartement de 1 mètre 524, l'Estonie, la Lettonie et Lituanie, qui étant d'anciens pays de l'Union Soviétique ont hérité un réseau construit selon les normes russes à l'écartement de 1 m 520. Enfin, le Portugal et l'Espagne ont des voies à l'écartement de 1 mètre 668 correspondant à la norme appelée écartement Ibérique.

Une particularité subsiste dans plusieurs pays dont la Belgique, la France et la Suisse, ce sont les lignes à voie métrique.

Il s'agit d'une voie à l'écartement de 1 mètre à laquelle on a eu recours pour limiter les coûts de construction. Parce qu'elle occupe une moindre emprise au sol, qu'elle autorise des courbes plus serrées et quelle nécessite de faire appel à moins d'ouvrages d'arts, elle est plus économique à poser et peut se faufiler beaucoup plus facilement dans les zones montagneuses. La Belgique en a construit des centaines de kilomètres pour ses Chemins de Fer Vicinaux, la Suisse dispose encore de pas loin de 1500 km de lignes à cet écartement et la France en a conservé quelques-unes encore exploitées en service régulier en Corse, dans les Pyrénées avec la ligne de la Cerdagne parcourue par le Train Jaune, dans les Alpes de Haute Provence avec la ligne reliant Nice à Digne, dans les Alpes avec celles du Mont-Blanc Express allant de Saint-Gervais-les-bains à Martigny et, enfin dans le Centre Val-de-Loire avec la ligne du Blanc-Argent entre Salbris et Valençay.

Lorsqu'il y a différence d'écartements, le problème de la rupture de charge se pose nécessairement à un moment ou à un autre.

La rupture de charge intervient à partir du moment ou les passagers ou les marchandises empruntant un moyen de transport sont obligés de changer de véhicule pour poursuivre leur chemin. Pour l'éviter, de nombreuses techniques ont été testées par les ingénieurs des pays concernés, sans rencontrer toujours de réels succès. La technique sans doute la plus simple est celle qui consiste en la mise en place d'un troisième rail permettant d'accueillir sur la même voie des matériels roulants aux deux écartements. Une autre, beaucoup plus complexe, consiste à procéder au changement des organes de roulement, en levant les véhicules, dans un atelier spécialisé. Elle est notamment mise en œuvre en gare de Brest-Litvosk pour les échanges ferroviaires entre la Russie et la Pologne et, en particulier, pour permettre aux trains de nuit de poursuivre leur route. Elle a l'inconvénient d'être très coûteuse en temps, de l'ordre de 2 à 3 heures par opération. La troisième, qui est celle qui nous intéresse plus particulièrement aujourd'hui, consiste à utiliser des voitures dotées d'essieux à écartement variable.

Cette technologie a été mise en œuvre par un train bien connu, du moins des amateurs : le Talgo

Ce train circulait entre l'Espagne, la France et la Suisse mais, pour se faire, il lui fallait trouver une solution technique pour s'affranchir de la différence d'écartements entre l'ibérique et le standard. Il aura été le premier train à utiliser des essieux à écartement variables. C'est Alejandro Goicoechea qui en est à l'origine. Cherchant à améliorer les performances des trains espagnols de l'époque, cet ingénieur qui travaillait pour la Compagnie des Chemins de Fer de la Robla développera dans un premier temps un système d'articulation léger. Son châssis était basé sur un ensemble de triangles dont la base supportait deux roues indépendantes et la pointe du triangle précédent, ce qui permettait à chacun d'épouser parfaitement les courbes de la voie. Un premier test de ce nouvel engin fut réalisé le 21 août 1941. L'ensemble, tracté par une locomotive à vapeur pu rouler sans encombre à la vitesse de 75 km/h dans les environs de Madrid. Il restait alors à trouver quoi poser sur ce châssis. Alejandro opta pour une caisse articulée en aluminium.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'engin qui naquit de son imagination était pour le moins surprenant.

Le voici ! Il intégrait dans un ensemble de 8 caisses un élément moteur d'une puissance de 200 chevaux qui fut emprunté à un autorail. Malgré son aspect visuel pour le moins déroutant, les essais qui furent réalisés en 1944 furent plus que satisfaisants, l'engin atteignant la vitesse de 120 km/h sur des voies dont l'état douteux ne permettait plus depuis bien longtemps plus de telles performances avec du matériel roulant classique. Pour développer son train, Alejandro Goicoechea s'associa à l'homme d'affaires José Luis Oriol Urigüen. Il fondèrent la société TALGO, un acronyme signifiant Tren Articulado Ligero Goicoechea Oriol, soit Train Léger Articulé suivi des noms de famille de ses deux créateurs.

L'histoire de l'entreprise TALGO et des différents trains qu'elle a développés mériterait un épisode à part entière, qui se fera sans doute un jour sur cette chaîne mais, pour l'heure, je vais resté centré sur le sujet d'aujourd'hui, à savoir le changement automatique d'écartement.

C'est une nouvelle génération de ce type de trains qui apparu en 1968, qui l'introduisit. On l'a baptisa TALGO III RD pour Rodadura Desplazable ce qui veut dire, « roulement déplaçable », une invention due à l'un des ingénieurs de l'entreprise. Grâce à une installation au sol, le TALGO glissait sur des appuis extérieurs, ce qui permettait de déverrouiller les roues qui étaient écartées à la largeur souhaitée grâce à deux doubles rails, avant d'être reverrouillées dans leur nouvel écartement. De tels dispositifs furent installés à Irun et Port-Bou, les deux points de passage ferroviaires frontaliers entre la France et l'Espagne.

Le week-end dernier en Suisse c'est un système un peu équivalent, mais en beaucoup plus élaboré qui a été mis en service sur les voies du MOB.

Le MOB, c'est le Montreux-Oberland-Bernois, qui exploite le GoldenPass Express, l'un des trains panoramiques qui circulent en Suisse. Le voyage entre Montreux et Interlaken avait, jusqu'à la semaine dernière du moins, l'inconvénient de ne pouvoir se faire que en deux parties, un changement de train devant s'effectuer en gare de Zweisimmen en raison d'une différence d'écartements, celle-ci passant de la voie métrique à la voie standard. Or, c'est un vieux rêve qui remontait aux années 1930 que de permettre aux passagers de ce train de partir des palmiers de la Riviera Vaudoise à Montreux, au bord du lac Léman, pour rejoindre le pied des glaciers de la Jungfraujoch en une seule traite. Il aura fallu près d'un siècle pour le concrétiser. Le MOB a inventé pour l'occasion un nouveau concept de bogie et en a confié la fabrication à Alstom. Il est constitué d'un ensemble de 4 cadres mobiles donc plus ici de notion d'essieu, et d'une traverse qui les maintient et supporte la caisse de la voiture. Le train arrivant dans une station de transition, ses bogies sont déverrouillés et des bras articulés aux extrémités de la traverse viennent s'appuyer sur des glissières qui l'a soulèvent. Le temps de déplacer les cadres mobiles pour les adapter à l'écartement souhaité, la traverse est reposée, et le dispositif reverrouillé.

Ce n'est pas la seule complication de l'exercice !

D'une part, les quais des gares en voies métriques étant plus bas que ceux des gares en voie normale, le MOB profite de l'opération de changement d'écartement pour modifier la hauteur des caisses de ses trains. D'autre part, l'alimentation électrique n'étant pas la même de part et d'autre de la gare de Zweisimmen, il est tiré profit de l'arrêt pour changer de motrice, celle-ci n'étant pas concernée par le changement d'écartement. Ainsi, un train arrivant de Montreux donc sur la voie métrique, est alimenté en 1000 volts continu. Il s'engage dans le dispositif de transition que la locomotive franchit grâce à un double fil de voies. Le train s'arrête en gare. La locomotive est détachée et va stationner dans un tiroir à voie métrique. L'alimentation de la caténaire est alors commutée sur du 15 000 volts alternatif. Ce qui permet à une autre locomotive à voie normale de sortir d'un autre tiroir, pour venir se placer en tête du train, qui va pouvoir dès lors reprendre son chemin. En tout moins de 8 minutes se seront écoulées.

Et vous, avez-vous eu l'occasion de goûter à cette expérience un peu particulière d'un changement d'écartement en cours de route ? Avez-vous pu emprunter le MOB ou le Talgo ? Je vous laisse me raconter vos souvenirs en commentaires je vous lis et vous retrouve avec grand plaisir tout bientôt comme on dit en Suisse, pour partager avec vous de nouvelles découvertes ferroviaires.









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