La 241P 9
quitte toulouse
La 241P 9 quitte toulouse
Transcription :
Après avoir passé une quinzaine d'années dans les locaux du Technicentre Midi-Pyrénées là où habituellement, était réalisé l'entretien d'autorails, la 241P9 préservée par la branche locale de la 3ATV s'apprête à quitter la gare de Toulouse-Matabiau alors que sa restauration n'est pas entièrement terminée. Les bâtiments qui l'abritent vont en effet être très prochainement détruits pour laisser place à de nouvelles voies destinées à accueillir les TGV de la future ligne à grande vitesse qui reliera en une heure au lieu d'un peu plus de deux la ville rose à Bordeaux. Alors que va devenir cette locomotive ? Combien de temps prévoir encore avant d'espérer la revoir sur les rails ? Où et comment sera t'elle hébergée à l'avenir ? C'est ce que l'on va voir dans ce nouveau numéro, l'avant-dernier de cette 16e saison. Bonjour et bienvenue dans Aiguillages !
Ce 28 juin 2024, était une date un peu particulière pour la 241P9 qui fêtait ce jour-là les 75 ans de sa mise en service au dépôt de Dijon-Perrigny à partir duquel elle est partie assurer des missions sur la ligne impériale en cours d'électrification, notamment en tête du Mistral ou du Train Bleu. Elle appartient à une série de 35 machines qui ont été construites par Schneider au Creusot. Considérées comme les plus puissantes locomotives à vapeur d'Europe, leurs performances égalaient celles des locomotives électriques de l'époque atteignant la vitesse de 120 km/h. De nos jours, 4 locomotives de cette série sont préservées, les numéros 9 à Toulouse, 16 laquelle est exposée à la Cité du Train à Mulhouse, 17 que l'on peut régulièrement croiser en tête de trains spéciaux sur le réseau ferré national et 30 préservée par l'Ajecta à Longueville en région parisienne et en attente de restauration. Le 28 juin 2024, c'est aussi la date à laquelle il était prévu que la 241P9 aurait quitté potentiellement par ses propres moyens le Techni-centre Midi-Pyrénées, la convention liant l'association à la SNCF arrivant à terme à la fin du mois de juin.
Oui, mais voilà, la crise sanitaire est passé par là, et les travaux ont pris un peu de retard. Il reste un chantier et pas des moindres : celui du retubage de la chaudière qui est encore à financer et à réaliser.
Pour la petite histoire, les premiers engins à être entré dans les ateliers de ce techni-centre étaient des locomotives à vapeur, et c'est une machine à vapeur qui sera la dernière à en ressortir. Dans les prochaines semaines, la 241P9 va en effet devoir quitter Toulouse sous peine de se retrouver prisonnière du bâtiment qui l'abrite, car les prochains travaux qui vont intervenir dans la gare Matabiau vont avoir pour première conséquence de condamner définitivement les ponts transbordeur et tournant qui connectent pour quelque temps encore les voies du Techni-centre Midi-Pyrénées à celles de SNCF Réseau par lesquelles elle a encore une chance de pouvoir s'échapper. C'est pourquoi l'accent a été mis ces derniers mois sur les travaux de remise sur ses roues de la machine qui était restée en levage durant toutes ces dernières années le temps du démontage minutieux de chacune des pièces la constituant, afin de procéder à leur contrôle et à leur restauration si nécessaire. Ces derniers mois, tous les efforts ont porté sur les opérations de remontage de la machine.
On a réussi à la mettre sur ses roues au mois d'octobre 2023. Donc ça a été une grande étape qui a permis l'installation de tout un tas d'éléments qui avait été préparés à l'avance, soit restauré. Et maintenant sur la superstructure, ont ré-installe pas mal de mécanismes et d'organes qui ont été préparés et qui sont prêts à être installés. Là, on est sur la partie chaudronnerie, on refait certaines tôles à neuf. Certaines étaient vraiment trop abîmées. On va remettre des organes dessus pour le déménagement, c'est la manière la plus commode de les transporter. Typiquement la cabine, on en profite pour la fignoler et la mettre en peinture de façon définitive. Ça va accompagner la cabine, donc il y aura, il y aura plus grand-chose. Ce sera vraiment du fignolage.
Parmi les bénévoles présents ce jour-là à l'atelier, Patrice s'attache précisément à la remise en place de nombreuses tôles.
Ma mission du jour, c'est une mission qui finit. Qui a commencé il y a trois ans et qui finit maintenant par le remontage des tôles que j'ai fabriquées après mise en façon, peinture. Et là, maintenant, je les monte pour le transfert.
Il faudra sans doute les remonter pour l'épreuve finale, mais qui aura lieu dans plusieurs années lorsqu'on fera les épreuves terminales de la chaudière.
Ces tôles, elles concernent quoi ?
Les tôles, c'est l'enveloppe du foyer et l'enveloppe de la chambre de combustion. Voilà, on m'a assigné ça comme mission. J'ai appris à souder, rouler, façonner et ce n'était pas mon métier.
Patrice, qui a donc dû tout apprendre sur le tas, s'est avec le temps, aménagé un petit atelier dans un coin de l'ancien techni-centre.
Alors ça, c'est votre univers ?
C'est mon univers. Ce n'était pas comme ça au début. Au début, je bossais sur des palettes avec une tôle. Et puis des collègues ont récupéré des établis et on m'a donné les moyens de fabriquer des tôles, notamment par le prêt d'une rouleuse mais qui n'est pas dimensionnée pour tout ce qu'on fait, mais pour ce que j'ai fait, était suffisante. Il y a un ami qui m'a prêté, qui m'a donné, enfin prêté/donné une grignoteuse pour faire des trous oblongs. J'ai appris à souder et je sauve des pièces. Je fais des mannequins pour pouvoir les fabriquer, les monter. C'est moi qui ai fabriqué les mannequins. J'utilise des outils, et des tutos tirés d'internet deux ou trois qui ont notamment d'un Russe qui m'a permis de faire des petites pièces extraordinaires, un emporte-pièce au marteau et c'était un Russe qui avait publié ça sur Internet. Et après, j'ai vu du shrink et de l'étirement de métaux avec ceci qui m'a permis de sauver, de sauver toutes ces pièces. Voilà que je fabrique complètement à la demande. Vous voyez la complexité ? Il faut plier, il faut souder, il faut développer. J'ai sauvé toutes les pièces de toutes les pièces de la machine en partant d'en récupérant les pièces d'origine sur les tôles. Elles avaient souffert, elles étaient complètement corrodées. Voilà ce que je refais. Et vous voyez une pièce comme ça ? Il a fallu refaire tout. Il a fallu refaire tout le fond. Et à la soudure, il y a tout ça encore à refaire. Il a fallu refaire tout le fond qui était rouillé. C'est des c'est des heures et des heures de travail, c'est de la tôle de 0.8. J'ai appris à souder ça.
La restauration d'une machine à vapeur de ce gabarit est un travail d'une très grande ampleur qui a déjà occupé la petite équipe de l'AAATV Midi-Pyrénées depuis une 15 aine d'années.
Vous êtes combien à travailler sur cette locomotive-là ?
Eh bien écoute, on a compté à peu près, on est, on dépasse la quinzaine de compagnons assidus tous les samedis depuis quinze ans maintenant et je fais partie de ceux qui ont rejoint l'équipe, il y a il y a cinq ans maintenant. Et j'avoue que j'ai trouvé beaucoup d'intérêt à la fois dans l'agréable compagnie des bénévoles et aussi partager la passion d'apporter quelque chose au patrimoine, de partager à la fois le savoir faire. Tu vois, ici, on refait une pièce, mais c'est aussi l'univers nostalgique de la vapeur, bien sûr, avec l'idée que ça marche un jour.
Toi, tu parles de compagnons, hein, quand tu parles de tes collègues ?
Oui, c'est un peu un label. C'est-à-dire que je trouve qu'on revient à l'étymologie du mot, c'est… On fait une route ensemble et on apprend des choses ensemble de la machine, les bonnes, les choses difficiles, les choses compliquées sur lesquelles chacun évolue, chacun apporte sa part. Je trouve que de cet échange naît, si tu veux, une force de groupe qui me semble de bon aloi parce que le projet est ambitieux, c'est rouler sur le réseau ferré national. Donc, aujourd'hui, en fonction des standards européens, il faut montrer qu'on est bon.
Dans les toutes prochaines semaines qui suivront la diffusion de ce reportage, la locomotive va avoir une occasion de parcourir plusieurs dizaines de kilomètres pour rejoindre sa prochaine gare d'attache. Pour cette échéance, tout a été minutieusement préparé et contrôlé. Pour s'en rendre compte, je vous propose de passer avec Philippe sous la machine.
Je vous amène ici devant l'essieu si particulier vilebrequin qui reçoit les bielles à l'intérieur de la haute pression. Donc on a réinstallé dès qu'elle a été mise sur roues. Le travail immédiat, ça a été de réinstaller tous les ressorts de suspension, de tout refixer, de fixer les parachutes du système de suspension et ensuite la tringlerie de freinage. C'est quelque chose qui est assez conséquent. Il n'y a pas ... Chaque section a une pièce différente. Et les diamètres sont en fonction de la force qui est mise en jeu depuis l'origine des cylindres de frein. Donc ça fait énormément de tringlerie. Toutes les bagues ont été refaites et c'est tout des pièces qui avaient été depuis longtemps passées en magnétoscopie au techni-centre de Sotteville, quatre Mar à Sotteville-lès-Rouen de façon à garantir… Ça, c'est indispensable et ça fait partie du dossier technique qualité chaudière de locomotive.
Là, on est sous la chaudière ?
La chaudière, oui, oui, on y est presque. On est sous la bande de vidange.
Qu'est-ce qu'on refait quand on refait une chaudière comme ça ? La, je vois l'enveloppe, ça, ça va rester ?
Ça, ça reste, c'est en bon état. Les bonnes épaisseurs, ça a été vérifié. Ce qu'on va refaire, ce sont les joints d'étanchéité des trappes de visite. Il y a des trappes de visite qui permettent de la laver, particulièrement dans la double paroi où il y a les entretoises pour qu'on puisse la laver, il y a des trappes de visite et il y a les joints d'étanchéité qui seront refaits. Sinon, après à l'intérieur, ce sont les tubes, les tubes à fumer qui sont à changer parce qu'ils se percent.
Donc il y a un double système de tuyauterie parce qu'il y a des surchauffeurs. C'est ça ? Donc, en fait, vous avez des tuyaux dans lesquels vous mettez des tuyaux ?
Oui, c'est ça. On a 143 petits tubes qui sont simplement des conduites de vapeur et d'échange et 33 gros tubes dans lesquels la vapeur qui est produite à 200 degrés par la chaudière revient dans une espèce de serpentin. Elle est surchauffée à peu près à 400 degrés, sans changer de pression. Donc, comme ça, elle est dénaturée, elle est sèche, elle est sèche et elle permet de conserver ses propriétés pendant tout le cheminement sur les quatre cylindres, on fait les deux étages de cylindres qu'elle doit parcourir.
Pendant qu'on est là près des roues, elles sont parties ces roues ? Elles sont parties en Allemagne ?
Les roues à rayons, oui, on a perdu la compétence, ça ne se fait plus depuis longtemps. Donc on a perdu et la compétence et l'outillage petit à petit. Donc c'est l'atelier de la Deutsche-Bahn à Medidigen qui concentre et qui a l'agrément SNCF pour la révision. On a été du reste les premiers à passer en Allemagne pour la révision des roues et essieux. Ça venait de se mettre en place et d'avoir l'agrément.
Quand on les voit là, est ce qu'on voit le travail qui a été fait ou est ce que c'était un simple contrôle ou est ce qu'il y a eu des réparations ?
Il y a eu des réparations, il y a des y a eu des réparations au niveau des amorces, des rayons parce qu'on avait le bogie qui normalement est l'organe qui guide la locomotive dans les courbes, qui avait pris énormément de jeu. Donc c'est le premier essieu qui prenait tous les coups et donc il y a eu 72 fissures à reprendre quand même sur ces essieux. Donc ça a été réparé de façon très professionnelle. Il y a eu un reprofilage aussi et les bandages sont neufs, les bandages ça s'enfile, comme les routes de charrette à l'époque.
Et les bandages sont où là, vous pouvez nous les montrer ?
Oui, c'est ça, cette partie-là ? C'est cette partie-là qui a été rapportée sur la jante. Ici, on a une espèce de jonc d'acier qui permet de le river et que ça ne bouge plus.
Et cette bande, ce bandage-là, c'est un peu comme les pneus ce qui va faire qui vont rester valides, c'est l'usure ? Donc, là, on voit que vous avez quand même une belle épaisseur.
Voilà, c'est ça.
Donc vous avez à priori pas mal de kilomètres devant vous.
C'est ça. On voit ici les marquages, les marquages qui servent si jamais il y avait un coup de frein trop brusque, qu'il y ait décalage, que ça glisse. En fait. Il y a un risque-là, quand il y a un trop gros coup de frein. Et justement, plus on a d'épaisseur de bandage, plus on est neuf, moins il y a de risque. C'est ça, il y a le minimum, c'est 45 mm sur ces roues-là au-delà, il faut déposer.
Là, je ne saurais pas dire combien, mais vous êtes largement au-delà des 40 millimètres ?
Oui, on doit avoir 70.
Et donc oui, quand vous passez sous la machine, vous parlez de la nécessité d'avoir une fosse. C'est pour contrôler notamment ce repère, voir s'il est toujours bien, bien en phase ?
On va vérifier qu'on n'ait pas de lames de ressort cassées. On vérifie aussi pas à ce niveau-là, mais il a toujours des godets d'huile de système en mouvement qui sont indépendants. Il faut faire le plein…
Des opérations qu'il est bien entendu beaucoup plus simple de réaliser quand on se trouve dans un environnement adapté, comme c'était le cas ici dans les locaux de cet ancien techni-centre dont les membres de la 3ATV Toulouse et la 241P9 ont fini par être les seuls occupants. Avec le déménagement, la question se pose de savoir si ce sera toujours le cas à l'avenir. Alors il est temps de vous révéler la destination de cette machine.
Elle quitte Toulouse pour Carmaux qui va nous accueillir dans le cadre de la valorisation de son ancien patrimoine minier. Il y a l'ancienne mine, la Découverte. Il y a le musée de la mine, il y a le musée du verre, il y a la valorisation du viaduc du Viaur aussi. Donc c'est tout un ensemble et l'accueil d'une locomotive à vapeur charbon était tout à fait approprié. La communauté de communes de Carmaux nous accueille avec plaisir et on les en remercie parce que ça a été vraiment une bonne opportunité pour nous. La SNCF nous a attribué une voie de service avec un bâtiment qui nous permet d'envisager la logistique et on est en train de prévoir un barnum, un abri tunnel de la longueur de la locomotive pour l'abriter et y faire un travail suffisamment large pour pouvoir continuer à y travailler dessus en attendant quelque chose de plus définitif qui est en projet, c'est en face de la gare de Carmaux d'avoir une attribution de trois voies sur lesquelles on puisse construire, en collaboration avec la communauté de communes, un bâtiment plus important qui permettra d'abriter la locomotive, toute la logistique et éventuellement d'autres occupants s'il le faut, puisqu'ils prévoient un bâtiment assez grand, un bâtiment photovoltaïque en particulier.
Pour ce qui est des délais pour le déménagement rien n'est à ce jour tout à fait définitivement arrêté, mais il devrait quoi qu'il en soit se faire dans l'été ou au plus tard d'ici septembre, l'équipe de l'AAATV espère même pouvoir proposer des visites de la machine sur son nouveau site d'accueil à Carmaux pour les Journées Européennes du Patrimoine 2024. Si vous voulez en savoir plus sur cette série de machines je vous suggère le précédent reportage que j'avais consacré à la 241P9 au cours duquel j'étais revenu plus en longueur sur l'histoire de cette locomotive, celui plus récent réalisé autour de la 241P16 de la Cité du Train ou encore un voyage en cabine à bord de la 241P17. Pour une telle expérience à bord de la 241P9, il faudra probablement patienter encore 4 ou 5 ans, son retour sur les rails pourrait se faire dans ses conditions à l'occasion de ses 80 ans.
Opération sauvetage
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